1、1I.J.L.L. Ilorin Journal of Language and Literature, Modern European Languages Department, University of Ilorin, Ilorin, 2001ANDR GIDE ET LES RALITSSENSUELLES EN AFRIQUEParDr. Baa MensaDepartment Modern European LanguagesUniversity of Ilorin,Ilorin, Nigeria.Andr Gide, cet crivain franais de la premi
2、re moiti du 20e sicle, a connu des problmes personnels issus de son milieu familial austre et puritain. Parmi ces problmes figurait celui de la sensualit refoule. Gide avant son contact avec lAfrique rvait dy trouver des solutions ses problmes. Dans cet article, nous nous proposons de dfinir la sens
3、ualit, dvoquer le problme de sensualit de Gide et son rve de trouver des solutions en Afrique, le contact avec lAfrique, les dcouvertes africaines, les consquences de ces dcouvertes et lusage que fait Gide de son exprience africaine. Enfin, nous comptons porter un jugement sur cette exprience gidien
4、ne.Le dictionnaire Le Petit Larousse Illustr dfinit la sensualit comme suit:Aptitude goter les plaisirs des sens, tre rceptif aux sensations physiques, en particulier sensuelles.1Or, Gide, un tre sensuel, vivant dans un milieu touffant o sa sensualit tait refoule, rvait donc dune Afrique libre o il
5、pourrait trouver un procd de dfoulement.Dimmenses clairs de chaleur, crit-il, palpitaient au loin dans la direction de lAfrique. LAfrique! Je rptais ce mot mystrieux; je le gonflais de terreurs, dattente et mes regards plongeaient perdument dans la nuit chaude vers une promesse oppressante et toute
6、enveloppe dclairs.2Le contact avec lAfrique est finalement pris quand ce sensuel refoul dbarque enfin sur le sol africain en Tunisie en octobre 1893 et se met aussitt la recherche dun procd de dfoulement.2Mais quelles sont les dcouvertes africaines qui se prsentent comme rponses aux dsirs sensuels d
7、Andr Gide? Elles proviennent du peuple, de la faune et de la flore africains. Cest dans ces trois aspects de lAfrique que Gide trouve les moyens de dfoulement sensuel. Les hommes, les femmes, les enfants mnent, devant ses yeux, une existence simple, vivant librement et spontanment, selon la nature,
8、contents deux-mmes et de leur existence. Ils ne sont pas tracasss par des contraintes telles que lcrivain a connues dans sa socit, au nom de la civilisation occidentale.Quant la faune, quand Gide nest pas assis ct des bergers, il se promne la suite des brebis, ou regarder des chameaux des caravanes
9、dcharger leurs fardeaux. Ces plaisirs sensuels provenant du peuple et de la faune stendent la flore galement. La diversit des paysages africains ne cesse pas de le proccuper fortement. Les vgtations verdoyantes, les forts vierges et aromatiques, les scnes exotiques, les divers fruits sauvages et suc
10、culents agissent sur la sensibilit de lcrivain et linvitent assouvir ses dsirs sensuels.Quelles sont les consquences de la dcouverte de ces nourritures terrestres? Cest avec une joie immense, avec un contentement perdu et un plaisir inimaginable que Gide assiste la matrialisation de ses rves. Il voq
11、ue lmerveillement et lexaltation dclenchs par le peuple, la faune et la flore africains et dcrit combien il est ravi, enivr et tonn la fois de voir lAfrique lui offrir audel de toute esprance, de quoi satisfaire ses dsirs:Il nous parut, crit-il, au cours de notre voyage, que le peuple et le pays dev
12、ant nous se mettaient en fte, et que la nature mme, notre approche, sexaltait Nous tions cet instant de la vie o le ravissement de toute nouveaut vous enivre; nous savourions la fois notre soif et son tanchement. Tout ceci, nous tonnait au-del de toute esprance.3Quel usage Gide fait-il de son exprie
13、nce africaine? La rponse est simple. Comme nous lavons dj constat par des citations extraites de luvre de Gide, lcrivain, tout en jouissant pleinement des plaisirs sensuels dcouverts en Afrique transforme cette exprience en uvres qui nous permettent de partager son exprience africaine. Cest ainsi qu
14、e le thme de la sensualit se manifeste dans de divers ouvrages comme par exemple Les Nourritures terrestres (1897), LImmoraliste (1902), Amyntas (1906), Si le Grain ne meurt (1920), les Feuillets (1928) etc. On peut galement citer les 3notes de voyages prises au moment de cette exprience sensuelle e
15、t incorpores dans le Journal (1889-1939). Si nous ne citons que ces crits, cest que cest l quon trouve trs facilement les meilleurs exemples de lusage que Gide fait de son exprience africaine.Gide prouve un grand plaisir mme dans de simples affirmations concernant les ralits sensuelles de lAfrique.
16、Cest le cas lorsque lcrivain, sadressant Nathanal des Nourritures terrestres, nomme la date et explique que cest un fruit du palmier qui constitue un mets dlicieux. A propos des oranges et des mandarines quil mange, Gide note dans ses Feuillets des premiers voyages, sa grande joie de constater que l
17、a saveur de ces fruits africains, unique dans son genre, ne lui rappelle nullement la saveur daucun fruit terrestre de sa connaissance. Cest avec un ravissement indicible quil gote ces fruits qui rassasient sa faim et tanchent sa soif. Lauteur des Nourritures terrestres chante les qualits sensuelles
18、 des fruits:Mais des fruits des fruits- Nathanal, que dirais-je? Oh! Que tu ne les aies pas connus, Nathanal, cest bien l ce qui me dsespre. Leur pulpe tait dlicate et juteuse; savoureuse comme la chair qui saigne, rouge comme le sang qui sort dune blessure.4Dans son traitement du thme de la sensual
19、it, Andr Gide sintresse toutes les facults sensorielles. Tout ce que lcrivain voit, respire, entend, gote, sent, provoque les mmes sentiments de ravissement, dmerveillement, divresse. Gide se rend compte de ce que lAfrique ne manque pas de quoi satisfaire toutes ses faims et toutes ses soifs. Il acc
20、ueille donc de toutes parts toutes les motions et les rflexions qui laident mieux jouir des ralits sensuelles de lAfrique.Parlant toujours de lusage des ralits sensuelles africaines, on constate que la satisfaction des dsirs refouls met fin au problme sensuel de Gide. Au refoulement sensuel de lcriv
21、ain, lAfrique propose une cure de dfoulement qui est dautant plus efficace quelle est agrable. Elle consiste librer et extrioriser la sensualit latente de Gide. Lcrivain reconnat que sa sensualit date ds lenfance. Le rle de lAfrique est donc de tirer de son tat de torpeur cette sensualit inne en lui
22、 tendant une infinit dobjets de sensations. Cest ainsi que Tunis propose des ralits sensuelles pour veiller les facults endormies de Michel, limmoraliste:4Tunis me surprit fort. Au toucher de nouvelles sensations smouvaient telles parties de moi, des facults endormies qui, nayant pas encore servi, a
23、vaient gard toute leur mystrieuse jeunesse. Jtais plus tonn, ahuri, quamus. 5Gide donne libre cours ses instincts et la nature et sabandonne la satisfaction de tous les plaisirs de ses sens. Il se propose comme devoir de satisfaire tous les dsirs, dassouvir toutes les faims, dtancher toutes les soif
24、s. Cest avec un abandon total, une ivresse lgre et un transport dlicieux que Gide se lance et se perd dans la jouissance des ralits sensuelles de lAfrique:Ctait une ivresse lgre Hlas! crit-il, pourquoi tous ne sont-ils pas capables de ce transport dlicieux? Cest partir de lui que commencent les hros
25、mes. Je me sentais si glorieux que quelque douleur net fait, je crois, que mexalter encore davantage. Je prsidais tout, sur tout, mais ctait dune manire impersonnelle; je moubliais, me perdais dans une volupt imprcise, my dvouais absolument.6Lcrivain passe dun extrme lautre; le sensuel refoul devien
26、t un hdoniste accompli. Il sait attendre et entretenir lardeur de ses dsirs jusqu une intensit extrme afin quil puisse jouir, jusquau vertige, des dlices dassouvissement. En attendant pour aiguiser lintensit de sa soif avant de ltancher, Gide donne limpression de prfrer la soif mme son tanchement, l
27、a faim son rassasiement, le dsir son assouvissement. Tandis que le livre premier des Nourritures terrestres place le dsir au-dessus de la satisfaction, le quatrime livre du mme ouvrage renverse la situation avec laffirmation que les soifs tanches sont les joies sensuelles les plus douces. Avec LImmo
28、raliste, lauteur suggre que la soif prcde immdiatement la satisfaction. Mais une trentaine dannes plus tard, dans Les Nouvelles Nourritures, Gide semble avoir repris sa tendance de prfrer la soif son tanchement. Il en tmoigne: Souvent, escomptant sur mes lvres avides lpuisement trop prompt du plaisi
29、r, la possession me paraissait le moindre prix que la poursuite et jen venais de plus en plus prfrer ltanchement la soif mme, la volupt sa promesse, la satisfaction llargissement sans fin de lamour.75Cet aspect particulier de la sensualit gidienne est bien illustr dans les trois uvres quon vient de
30、citer. La dcouverte des ralits sensuelles de lAfrique inspire la composition des ouvrages dont nous avons parl plus haut. Andr Gide a compos plusieurs uvres parmi lesquelles figurent notamment Les Nourritures terrestres, LImmoraliste, Amyntas, Si le Grain ne meurt et des notes de voyages prises au m
31、oment de cette exprience sensuelle et incorpores dans le Journal. De ces uvres cites, Les Nourritures terrestres donnent le meilleur tmoignage de la sensualit gidienne. Cest avec un lyrisme dbordant que Gide tmoigne sa gratitude lAfrique pour le fournissement des ralits sensuelles.Gide fait tat, dan
32、s ses uvres, dune infinit de sensations que lAfrique lui procure. Abondants dans ses uvres sont les sous-thmes de la sensualit comme la joie de vivre, des plaisirs des sens, des sensations exotiques.Lcrivain abandonne mme son culte de linstinct dans ses manifestations concrtes. La proccupation purem
33、ent intellectuelle cde la place la proccupation motionnelle:Ladmirable sur cette terre, crit-il, cest quon est forc de sentir plus que de penser. 8Gide considre aussi les sensations comme les seules voies valables de la connaissance. Nous constituons lexistence du monde des ralits travers les sens.
34、Tout ce qui nest pas perceptible la vue, loue, lodorat, au got ou au toucher ne vaut rien, selon lauteur des Nourritures terrestres:Il ne me suffirait pas de lire que les sables des plages sont doux: je veux que mes pieds nus le sentent Toute connaissance que na pas prcde une sensation mest inutile.
35、 9Lusage que Gide fait de son exprience sensuelle en Afrique stend tous les domaines des ralits sensuelles. Lcrivain multiplie dans ses uvres plusieurs notations sensuelles. Cest ainsi quon peut relever les sensations olfactives, visuelles, tactiles, gustatives et auditives. Pour dpeindre les sensat
36、ions olfactives, Gide fait une distinction entre les odeurs agrables et les odeurs ftides.6A propos des odeurs agrables, on trouve des marchands daromates qui offrent toutes sortes de rsines qui produisent des parfums agrables quand on les brle, mche ou renifle simplement:Sur la place de Touggourt,
37、il y avait des marchands daromates. Nous leur achetmes diffrentes sortes de rsines. On reniflait les unes. On mchait les autres; les autres se brlaient. Celles qui se brlaient avaient souvent la forme des pastilles; elles rpandaient, allumes, une abondance de fume cre o se mlait un trs subtile parfu
38、m; leur fume aide provoquer les extases religieuses et ce sont elles que lon brle dans les crmonies des mosques Celles que lon sentait, se sentaient simplement. 10Les sensations visuelles provoques par la beaut des couleurs des vtements, de la flore et de la faune plaisaient au regard de lcrivain. S
39、e servant de ses mains, de ses pieds, de tout son corps, Gide trouve de quoi provoquer et satisfaire des sensations tactiles. Son hros de LImmoralit, Michel, laisse tremper des cailloux blancs pour en savourer la fracheur tranquillisante dans sa main:Jai l, dit-il, voyez, des cailloux blancs que je
40、laisse tremper lombre, puis que je tiens longtemps dans le creux de ma main, jusqu ce quen soit puise la calmante fracheur acquise. Alors je recommence, alternant les cailloux, remettant tremper ceux dont la froideur est tarie. 11Les notations sur les sensations gustatives sont innombrables. Partout
41、 o il voit des nourritures terrestres apptissantes, Gide nhsite pas sen servir. Il y a de quoi aiguiser sa faim et attiser sa soif. Michel apaise sa faim et sa soif en mangeant des fruits succulents africains. Quand il ne mange pas de fruits terrestres au got cleste, cest pour savourer le got dlecta
42、ble des gteaux aux parfums chez le marabout de Temassine, o lon trouve galement de leau aromatise.La musique africaine constitue laspect le plus important des sensations auditives. Chaque fois que lcrivain entend le chant de flte, il devient enchant et se perd dans un engourdissement.Tantt seul le c
43、hant dune flte de roseau suffit pour le griser, le stupfier et lexalter. Tantt cest la musique joue par tout un ensemble dune clarinette, des 7castagnettes de mtal et dun tambour de basque qui provoque et satisfait des sensations auditives:Sur une estrade, crit-il, aux cts du joueur de clarinette, u
44、n vieux ngre faisait claquer des castagnettes de mtal et le petit Mohammed, perdu de lyrisme et de joie, temptait sur son tambour de basque. 12Ainsi, Andr Gide puise dans cette infinit de sensations concrtes offertes par lAfrique pour satisfaire tous les plaisirs des sens. Cest en sinspirant de cett
45、e infinit de sensations concrtes que Gide arrive bien traiter le thme de la sensualit africaine dans son uvre.Quel jugement peut-on porter sur cette exprience gidienne? Le contact avec lAfrique a donn loccasion inespre au sensuel refoul de se dfouler. Gide se dcouvre un nouvel tre qui sadonne tous l
46、es plaisirs qui lui sont offerts. Tout en jouissant personnellement de ces nourritures terrestres, il noublie pas de nous inviter participer ces jouissances en traitant effectivement le thme de la sensualit africaine dans son uvre. La sensualit analyse par Gide fournit du plaisir tous les sens de lt
47、re visuel, auditif, olfactif, gustatif, tactile et mme spirituel. Mais peut-on conclure, en nous basant sur les uvres traites ici, quen partant la recherche du bonheur terrestre Gide renonce au bonheur cleste? La rponse est ngative. Gide crit des uvres qui servent dantidote ou de contrepoids aux uvres prcdentes:“Chacun de mes livres se retourne contre les amateurs du prcdent”. Il lui arrive, dans un mme ouvrage, de cultiver lambigut Perptuellement, il pose des questions; “je suis un tre de dialogue et non point d